Principal moteur économique de l’Afrique, le Nigeria est en proie à diverses divisions (sociales, religieuses, politiques…). Touché par les effets néfastes de l’industrie pétrolière, le pays est le théâtre de violences cycliques largement alimentées par des activités illicites, principalement dans le delta du Niger. Bien qu’elles puissent répondre aux besoins immédiats des communautés locales, ces activités perpétuent un modèle économique qui ne favorise pas le développement.
En tête de l’économie africaine, surpassant même l’Afrique du Sud, le Nigeria affiche un PIB évalué à 510 milliards de dollars en 2022 selon le Fonds monétaire international (FMI). Deux éléments clés alimentent cette économie : la démographie et le pétrole. Avec une population estimée à 213,40 millions d’habitants en 2021, soit le double d’il y a trente ans, le Nigeria détient le plus grand nombre d’habitants sur le continent africain. D’ici à 2050, on estime qu’il accueillera 159 millions de personnes supplémentaires, ce qui représente une contribution significative de 9 % à la croissance démographique mondiale. La fécondité reste élevée, avec une moyenne de 5,4 enfants par femme en âge de procréer sur la période 2015-2020. La jeunesse de la population constitue également un avantage majeur, avec un âge médian de 18 ans et les deux tiers des habitants âgés de moins de 25 ans. Toutefois, malgré cette abondance démographique, la richesse pétrolière du pays ne profite guère à la grande majorité des Nigérians en termes de développement et de prospérité.
Économie parallèle
Avec une production quotidienne de 1,62 million de barils en 2021, d’après les données de British Petroleum, le Nigeria se classe en tête des producteurs africains de pétrole brut, surpassant ainsi l’Algérie (1,35 million), la Libye (1,26 million) et l’Angola (1,16 million). Le pays détient également les plus importantes réserves de brut du continent, totalisant 36,9 milliards de barils, se situant ainsi juste derrière la Libye avec 48,4 milliards de barils. Le Nigeria est fortement tributaire de cette ressource hydrocarbure, qui est exploitée principalement dans le delta du Niger, et dans une moindre mesure, du gaz. Les exportations de pétrole ont constitué environ 88 % de la valeur totale des exportations en 2021, représentant environ 8 % du PIB. Cependant, le pays fait face à une baisse progressive de sa production. Au cours des dix dernières années, la diminution d’un tiers de la production n’a pas été compensée par la hausse des prix du pétrole brut, réduisant ainsi les revenus tirés des exportations. De plus, le Nigeria est contraint d’importer des produits pétroliers raffinés, en particulier du carburant pour les transports, et souffre structurellement de pénuries d’essence en raison de capacités de raffinage insuffisantes, estimées à 475 000 barils par jour. En réalité, ces capacités sont quasi inexistantes, car les deux raffineries en activité du pays sont pratiquement à l’arrêt depuis 2019.
Depuis de nombreuses décennies, une économie informelle et criminelle d’envergure s’est développée autour du pétrole et du carburant de contrebande. Cette activité illicite est hautement rentable et attire de nombreuses convoitises. On estime que entre 5 et 20 % de la production du delta du Niger est détournée et ensuite raffinée de manière illégale, alimentant des marchés souterrains essentiels pour les populations qui ne trouvent pas d’essence dans les circuits officiels. Les activités clandestines, le vandalisme des pipelines et l’organisation des marchés noirs coûtent environ 1,5 milliard de dollars par mois au pays, ce qui équivaut à environ 1,5 % du marché noir mondial du pétrole, estimé à 133 milliards de dollars. Ce phénomène n’est pas nouveau, selon la Banque mondiale, près de 400 milliards de dollars de pétrole auraient été détournés depuis l’indépendance du pays en 1960.
La manne provenant de ces activités clandestines nourrit l’insécurité généralisée. Le Nigeria est connu pour être l’un des pays les plus violents au monde. Partout, les revenus informels tirés de la contrebande de pétrole ont favorisé l’émergence de groupes armés impliqués dans le vol de bétail, les enlèvements, le trafic d’armes et de drogue, la piraterie et le terrorisme djihadiste, ainsi que le soutien à des mouvements séparatistes, comme le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger, actif depuis 2004 et ciblant principalement les compagnies pétrolières. Néanmoins, ces revenus ont également renforcé des réseaux économiques locaux indispensables, sans lesquels une grande partie de la population sombrerait dans l’extrême pauvreté et la misère. Avec les profits financiers, de nombreux groupes criminels et anciens chefs de guerre se sont également tournés vers l’industrie de la sécurité privée, qui prospère actuellement face à la violence persistante.
Des mesures gouvernementales face aux dangers
Depuis le passage de Muhammadu Buhari au pouvoir en mai 2015 (il a été réélu en 2019), le Nigeria a entrepris des réformes et des efforts pour combattre l’insécurité. Cependant, les résultats sont modestes malgré les ressources considérables investies. Les critiques, notamment de l’opposition, des organisations caritatives et des ONG, pointent du doigt l’inaction du gouvernement fédéral, voire son implication présumée avec des groupes criminels. Les opérations visant à détruire les raffineries clandestines ont eu des conséquences négatives dans la région du delta du Niger, exacerbant l’insécurité. Les habitants, ainsi que les communautés de pêcheurs, se retrouvent souvent privés de leurs moyens de subsistance, tandis que l’environnement de mangrove est endommagé par les marées noires et la pollution résultant de ces activités illégales.
Le nationalisme ethnique, le militantisme politique et le fanatisme religieux contribuent à une atmosphère de violence généralisée qui fragmente la société nigériane. Dans le nord du pays, outre la menace persistante de Boko Haram et de l’État islamique, le groupe terroriste Ansaru, issu de Boko Haram et ayant prêté allégeance à Al-Qaïda en décembre 2021, représente également une menace. Ansaru vise à combattre le banditisme pour gagner en popularité et rivaliser avec d’autres groupes armés, notamment dans la « zone des trois frontières », afin de se présenter comme un mouvement capable de gouverner un territoire. Le massacre d’Owo le 5 juin 2022, lors d’une messe de Pentecôte dans le sud-ouest, rappelle les violences lors des élections de 2019 dans les États majoritairement musulmans du nord, affaiblis par les attaques de Boko Haram.
Le Nigeria, qui dépend fortement des ventes de pétrole, voit sa production de brut décliner, en grande partie à cause des vols, du vandalisme des pipelines et de l’insuffisance des investissements, pour lesquels les experts appellent à des efforts pour diversifier les sources de pétrole. Selon l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), le Nigeria a produit 1,2 million de barils par jour en mars dernier, en dessous de l’objectif de production quotidienne du gouvernement de 1,7 million de barils en 2024. Elle se fini par être détrôné par La Libye comme premier producteur africain de pétrole.