Moins médiatisé que les détroits de Malacca, d’Ormuz ou de Bab el-Mandeb, le canal du Mozambique, reliant le continent africain à Madagascar, reste une voie maritime cruciale pour le commerce mondial dans cette vaste zone de transit qu’est l’océan Indien. Confrontées aux enjeux économiques et sécuritaires qu’il présente, les grandes puissances s’engagent dans un jeu complexe d’influences et de rivalités, souvent désigné sous le terme de « Grand Jeu », dans lequel la France est impliquée.
Le canal du Mozambique, une étendue d’eau dans l’océan Indien occidental, s’étend sur environ 1 600 kilomètres du nord au sud. Avec une largeur maximale de 419 kilomètres et des profondeurs allant jusqu’à 3 200 mètres, il constitue un passage maritime crucial. Peu d’États riverains le bordent, notamment le Mozambique, Madagascar, les Comores et la France, qui possède des territoires ultramarins tels que Mayotte et quatre des cinq îles Éparses (Glorieuses, Juan de Nova, Bassas da India, Europa). Cette voie est essentielle pour le commerce mondial, facilitant notamment l’acheminement du pétrole du Moyen-Orient vers l’Europe et l’Amérique. On estime que plus de 5 000 navires empruntent le canal du Mozambique chaque année, représentant environ 30 % du trafic pétrolier maritime.
Ressources naturelles

Outre son aspect commercial, il existe un intérêt économique majeur dans la région. Les réserves halieutiques sont considérables, mais la pêche artisanale pratiquée par les pays côtiers est désormais concurrencée par la surpêche industrielle menée par un nombre croissant de navires chinois dans les eaux du Mozambique et de Madagascar. Des études géologiques récentes suggèrent également que les fonds marins regorgent de minerais et d’hydrocarbures. Des gisements offshore ont été découverts entre 2010 et 2013 au large du Mozambique, attirant l’attention des grandes compagnies pétrolières et gazières mondiales, dont TotalEnergies. Les estimations parlent de plus de 500 milliards de mètres cubes de gaz et entre 6 et 12 milliards de barils de pétrole. De plus, le canal du Mozambique est reconnu comme l’un des points chauds de la biodiversité marine.
Cette région de l’Indopacifique, longtemps marginale sur la scène internationale, attire désormais l’attention en raison de ses ressources et de sa position géostratégique. Cela en fait une zone de conflit potentiel entre les grandes puissances. La sécurisation de cette voie commerciale est essentielle pour le projet des nouvelles routes de la soie maritimes de la Chine. Le pays a renforcé sa présence en augmentant la circulation de ses navires militaires et en investissant massivement dans les infrastructures portuaires. La Chine est devenue le principal partenaire commercial du Mozambique et de Madagascar, en particulier en investissant dans les infrastructures de communication et en modernisant de nombreux ports. Ces investissements font de ces pays des hubs pour la connectivité de l’Afrique australe continentale et insulaire. Les ressources naturelles, notamment le charbon au Mozambique et le bois à Madagascar, sont au cœur des intérêts chinois.
Frictions géopolitiques

Préoccupée par l’activisme croissant de la Chine, l’Inde cherche à renforcer son influence en s’appuyant sur le soutien de la France et des États-Unis, qui sont considérés comme les principaux gardiens de l’océan Indien. Dans cette optique, l’Inde a accru le nombre de passages de ses navires militaires et intensifié ses investissements, notamment à Madagascar, où la communauté indienne est significative. Les deux géants asiatiques exploitent également les sentiments anti-occidentaux et anti-français qui persistent dans la région, notamment en raison des contestations de la souveraineté française sur Mayotte et les îles Éparses.
La situation sécuritaire fragile du Mozambique, des Comores et de Madagascar, caractérisée par des régimes corrompus et kleptocratiques, ainsi que la faiblesse des organisations de coopération régionale telles que la Communauté de développement d’Afrique australe et la Commission de l’océan Indien, font de cette région un enjeu géostratégique majeur pour tous les acteurs impliqués. La partie nord du canal est confrontée à la piraterie maritime malgré les efforts de surveillance des missions occidentales. Les activités illicites telles que le trafic de bois et de drogues, ainsi que les flux migratoires clandestins des Comores vers Mayotte, demeurent importantes. De plus, la présence jihadiste dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, a découragé les investissements dans le secteur gazier.
Dans ce contexte, la France conserve un rôle central. Grâce à sa présence militaire et à ses capacités de surveillance et d’écoute, notamment avec les stations radar et les pistes d’aviation sur les îles de Grande Glorieuse, Juan de Nova et Europa, la France maintient un dialogue avec les Comores et Madagascar malgré les différends sur la souveraineté des eaux territoriales. Avec une zone économique exclusive couvrant environ 640 000 kilomètres carrés, représentant près de la moitié des eaux du canal du Mozambique, Paris détient un capital géostratégique essentiel face aux défis croissants dans la région.